Commission spéciale « Passé colonial » : Audition du 18 juillet 2022

Le CMCLD a été auditionné dans le cadre de la Commission spéciale « Passé colonial » ce 18 juillet 2022 au sujet des réparations nationales. Voici notre intervention livrée par Aliou Baldé  :

I. Présentation du Collectif

« Ce qui est fait pour nous, sans nous, est fait contre nous »

Voici le slogan de notre Collectif. Bien que cette commission soit un pas en avant à saluer vers la décolonisation. Nous nous devons de dire que celle-ci arrive bien tard et nous ne pouvons que remarquer le fonctionnement encore colonial de celle-ci. En effet, nous nous devons de dénoncer la manœuvre de cette Commission qui a consisté en l’écartement des diasporas africaines appelées seulement en fin de course et dont les apports n’ont été que minimes depuis que le rapport des experts a été rendu. Écarter les associations de la société civile sous prétexte qu’elle ne seraient pas des « experts » « universitaires » pour dérouler le tapis rouge à des associations telles que Union Royale Belgo-Africaine (association créée en 1889 dans le cadre du projet colonial encore active à ce jour) par exemple, sont autant de manœuvres qui entachent le travail important de cette commission. Sans la lutte sans relâche des mouvements militants et la mobilisation citoyenne, vous ne seriez pas réunis ici en train de faire ce travail.

Ce qui m’amène maintenant à la présentation du Collectif, que je représente aujourd’hui.

Le CMCLD est un collectif citoyen, panafricain et décolonial regroupant des militant.e.s de Bruxelles, de Flandres et de Wallonie, créé en 2012.

Le Collectif est né d’un constat : le racisme et les stéréotypes ciblant les personnes d’ascendance africaine découle de la colonisation (en ce compris la propagande coloniale) et l’esclavage. Il y’avait donc une nécessité de revenir sur le passé colonial afin de pouvoir traiter correctement ses maux actuels. Ainsi, en 2012, le Collectif est allé à la rencontre des différentes formations politiques francophones de ce pays pour les alerter quant à la nécessité d’entamer un travail de décolonisation, raison pour laquelle nous disons que cette commission arrive bien tard. Certains partis pour ne pas les citer nous accueilli avec incompréhension et même du dédain à notre égard et pourtant, nous voici aujourd’hui.

Cette ligne directrice de lien entre passé colonial et racisme est et a été notre ligne directrice dans tous les actions de terrain que nous menons : conférences, manifestation ou encore visites guidées décoloniales.

Nous devons relever d’ailleurs ici, une méconnaissance criante des politiques en ce qui concerne les mouvements associatifs des diasporas africaines. Nous entendons très régulièrement que BLM a été le mouvement qui a lancé les revendications de décolonisation. C’est factuellement faux. La mort de George Floyd a effectivement été un catalyseur dans les luttes décoloniales mais pas un point de départ. La lutte contre le racisme structurel de ce pays, pour la décolonisation est un combat mené par le CMCLD et d’autres associations et militant.e.s depuis une dizaine d’années et ce même combat, nous l’avons hérité de personnes qui ont aujourd’hui l’âge de nos parents et grands-parents.

II.Cadre international, européen et national

Passons maintenant au contexte dans lequel nous nous trouvons. Les personnes d’ascendance africaine, leurs droits et le racisme structurel qu’elles connaissent ont fait l’objet de multitude reconnaissances, rapports et recommandation au niveau international, européen et national. Ces mesures et recommandations peinent à être mise en œuvre en Belgique. Le lien entre passé colonial et racisme anti-noir, le racisme anti-noir structurel en matière d’emploi, de logement, d’éducation, de santé, d’accès à la justice et les violences policières sont autant de domaines reconnus dans ces textes demandant aux États d’agir efficacement.

  • Au niveau international

La Belgique s’est engagée en 2001 à la Conférence de Durban à adopter un plan de lutte interfédéral contre le racisme. La Déclaration de Durban reconnaît que les personnes d’ascendance africaine ont été victimes de l’esclavage, de traite des esclaves, et de la colonisation et continuent d’être victimes de leurs conséquences.
Nous sommes en 2022 et il est à noter que seule des mesures fédérales devant être inclues dans ledit plan interfédéral, viennent d’être publiées. Autrement dit, le plan interfédéral en tant que tel n’est toujours pas là, après 21 ans.

Notons également que nous nous trouvons dans la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine prononcée par l’Assemblée Générale de l’ONU en 2015. Cette décennie qui prend fin le 31 décembre 2024, est axée sur les thèmes de la reconnaissance, la justice et le développement des droits des personnes d’ascendance afrcaine. Durant cette décennie, les états qui se sont engagés, y compris la Belgique sont invités à adopter un certain nombre de mesures et d’activités nécessaires au devoir de mémoire et à la lutte contre le racisme. Encore une fois, nous devons constater qu’en Belgique, très peu de choses voir rien n’a été mis en œuvre au niveau national pour que cette Décennie internationale soit effectivement observée.

Toujours au niveau international, notons également les rapports du Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine que le Collectif a eu l’occasion de rencontrer en 2019 durant leur visite en Belgique. Le rapport rendu par ces experts fait également état des lacunes présentes en matière de lutte contre les discriminations et de reconnaissance du passé colonial.

Enfin, un dernier rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Africains et des personnes d’ascendance africaine face au recours excessif à la force et aux autres violations des droits de l’homme dont se rendent coupables des membres des forces de l’ordre éclaire également sur l’urgente nécessité de lutter contre le racisme structurel vécu par les personnes africaines et d’ascendance africaine surtout en ce qui concerne les violences policières.

  • Au niveau européen

Une résolution du Parlement européen sur les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine en Europe a été adoptée le 26 mars 2019. Cette dernière comme tous les textes internationaux que j’ai cité reconnaît le racisme anti-noir comme étant « le fruit des structures historiquement répressives du colonialisme et de la traite transatlantique des esclaves » et ont adressé 28 demandes/recommandations aux états-membres.

Citons également le plan d’action de l’Union Européenne contre le racisme pour la période 2020-2025 du 18 septembre 2020 que nous n’aurons pas le temps de détailler mais que nous vous invitons à lire au même titre que tous les autres texte précités.

  • Au niveau national

Il faut noter les différents rapports rendus par UNIA sur les discriminations vécues par les personnes d’ascendance africaine, le dernier rapport en date publié le 21 mars 2022, relève lui aussi le lien entre passé colonial et racisme et fait état des discriminations structurelles chiffrées vécues par les personnes africaines et les personnes d’ascendance africaine.

Il faut également noter l’étude publiée par la Fondation Roi Baudouin du 22 novembre 2017 sur Belgo-Congolais, Belgo-Rwandais et Belgo-Burundais. Ce genre d’initiative devraient d’ailleurs être étendues à toutes les personnes africaines et d’ascendance africaine présentes sur le territoire belge car bien que le passé colonial concerne effectivement 3 pays ( Congo, Rwanda, Burundi) , le racisme aujourd’hui ne fait pas de distinction entre une Camerounaise, un Somalien ou encore une Angolaise par exemple. Les quelques 250 000 personnes afrodescendantes présentes dans ce pays sont touchées par ce racisme.

III. Décolonisation

Nous entendons parler énormément de décolonisation et de décolonisation de l’espace public mais nous remarquons une certaine incompréhension des enjeux derrière ce processus.  La décolonisation de l’espace public est un domaine que nous avons investi il y’a 10 ans de cela grâce à nos visites guidées décoloniales. Ces visites ont pour but de se servir d’un outil utilisé par toute la population sans distinction à savoir l’espace public afin de le remettre en question mais surtout de remettre en question, par ricochet, les rapports de dominations existants dans notre société. Il faut donc bien comprendre que la décolonisation de l’espace public n’est pas un but en soi mais plutôt un vecteur parmi d’autres par lequel la décolonisation s’opère.

Ce qui nous amène à la définition de la décolonisation. Pour le Collectif, la décolonisation est un processus généralisé et coordonné de déconstruction de la propagande coloniale, des mentalités, des pratiques, des institutions, des savoirs et par ricochet, des relations interpersonnelles aboutissant à une société débarrassée du racisme, du racisme anti-Noir·e·s, des stéréotypes et des préjugés menant aux discriminations. Voilà donc le réel objectif de la décolonisation : mettre fin aux discriminations.

Les textes que nous avons mobilisés démontrent à quel point la Belgique a tardé et tarde à protéger efficacement les droits des personnes africaines et d’ascendance africaine.

IV.Recommandations

Passons maintenant aux recommandations concernant les réparations nationales. Une chose est certaine, le travail de cette commission n’est que le début d’un long processus qu’il faudra mener avec sérieux. Réparer les conséquences de la colonisation ne se fera pas en 5 ans pas même en 10 ans. L’état belge devra donc s’engager fermement et durablement à réparer, autant que faire se peut, les conséquences de ce que Monsieur Jean Bofane appelait avec justesse, la semaine passée, le « cataclysme des âmes ».

Les recommandations de cette commission doivent sans surprise, nécessairement être tirées différents rapports et textes internationaux, européens et nationaux que nous avons listé plus tôt.

En outre, voici ce qui devrait figurer dans le rapport de recommandations de cette Commission (liste non-exhaustive) :

  1. Le reconnaissance officielle de la colonisation comme crime contre l’humanité et des conséquences actuelles de celles-ci ou à tout le moins le caractère systémique violent fondé sur l’exploitation, la domination et le racisme. Il a été question de décoloniser les savoirs et notamment le droit international lors des précédentes auditions, en voici une expression.

  2. La mise en place de dates de commémorations officielles et annuelles pour les victimes congolaises, rwandaises et burundaises de la colonisation belge en concertation avec les mouvements des diasporas

  3. La mise en place dans l’espace public à Bruxelles, en Wallonie et en Flandres d’un monument rendant hommage aux victimes de la colonisation en concertation avec les mouvements des diasporas

  4. L’enseignement obligatoire de la colonisation belge en primaire, secondaire et au supérieur et ce, dans toutes les filières

  5. La création de 3 instituts ou Maisons des cultures africaines à Bruxelles, Wallonie et en Flandres afin de valoriser les cultures africaines, vulgariser de l’histoire du continent africain précolonial, permettre la déconstruction des stéréotypes et la fin de la falsification historique

  6. La création d’un Observatoire de la Négrophobie en Belgique chargé d’analyser spécifiquement le racisme systémique anti-noir vécu par les personnes afrodescendantes

  7. La réactivation du COMRAF au sein du Musée de Tervuren (Africa Museum)

 

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