Pourquoi une colonie ne peut pas être un modèle

Droit de réponse à la contribution externe « Pourquoi le Congo Belge étai une ‘colonie modèle' » publiée dans La Libre Belgique le 7 février 2023

Comme l’a souhaité le professeur Kisangani lui-même, nous prenons la liberté de lui répondre en tant que Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations établi en Belgique. D’emblée la question qui se pose en lisant son article est celle de savoir si une colonie suivant le paradigme occidental d’émanation inquisitoriale peut être un modèle ? Autrement dit qu’est-ce qu’une colonie européenne de la fin du XIXème siècle en Afrique pour être un modèle ? Il est connu aujourd’hui qu’il s’agissait des occupations armées des territoires des Africains réduits en esclavage sur leurs propres territoires plusieurs années après son abolition par les mêmes pays. C’est en 1848 que la France abolit officiellement l’esclavage qu’elle pratiquait contre les Noirs. A l’époque la Belgique existait à peine. Concernant le Congo-Belge, émanation de l’ancien Etat Indépendant du Congo, en quoi ce pays d’abord prétendu indépendant et transformé par miracle en colonie pouvait-il être un modèle ? Le professeur aurait dû informer les lecteurs sur l’origine du Congo-Belge fondé par l’Association internationale du Congo après une conquête armée très violente (Bulletin officiel de l’État Indépendant du Congo, n°1, 1885, 1ère année). 

Le recours à une chanson de Wendo pour vanter les mérites de la gestion économique belge du Congo est mal à propos. Il existe d’autres chansons qui chantent le contraire de Poto Moyindo, notamment “Ata ndele mokili ekobaluka) d’Adu Elenga. Composée et chantée en 1954, cette chanson très populaire à l’époque dénonçait les exactions coloniales et les souffrances du peuple colonisé congolais sous le régime autoritaire belge au Congo. Le médecin français, le Docteur Paul Raingeard de la Blétière, qui a vécu au Congo à l’époque du Congo-belge, en tant qu’employé de la compagnie d’huile de palme dans la région du Kwango-Kwilu, a décrit dans les détails l’enfer des habitants autochtones de cette région, qui n’était en rien différent de l’épopée du caoutchouc. Son témoignage paru en 2008 contredit en tout point les chiffres avancés par M. le professeur. Car si la réalité correspondait à ces chiffres, le Congo aurait été un vrai paradis. Mais ce n’était pas le cas, en témoigne M. Prosper-Philippe Augouard, évêque français ayant vécu une trentaine d’années au Congo-français. Il disait que la population congolaise estimée à douze millions à l’époque de Stanley et Brazza (1878) était descendue à trois millions en 1921, soit une perte estimée à 75% (RAINGEARD de la BLETIERE Paul, Maudit soit Canaan, Haute-Goulaine, Opéra, 2008, p. 193-194). Comment parler d’un pays prospère quand sa population dépérit ? Dire qu’il y avait de l’eau potable partout et qu’il n’existait pas de malnutrition est un mensonge. Même les oiseaux en riraient.

Quant au visage idyllique du Congo-belge avec 2.500 industries manufacturières éparpillées avec deux millions de salariés, il ne s’agit que d’un effet d’annonce, d’un enfumage de mauvais goût. On aimerait savoir quel était le pourcentage des Congolais qui avaient des industries et quel pourcentage d’entre eux avaient une vie qui rivalisait avec celle des Européens, maîtres du pays ? Il aurait été aussi intéressant de comparer le niveau du développement atteint par la Belgique grâce aux richesses du Congo et l’effet inverse. Il n’y avait pas photo. 

A propos du haut degré de prospérité atteint par le peuple congolais, le discours de Lumumba du 30 juin 1960 en donne l’exacte valeur. Car il a clos définitivement le débat sur les fameux bienfaits de la colonisation que le professeur Kisangani veut encore ressusciter. « Qui oubliera qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs, qu’un noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits «  européens » ; qu’un noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation ». 

Concernant les kleptocrates postcoloniaux qui ont transformé le si agréable Congo-belge en enfer, M. le professeur omet volontairement de nous dire qui ils sont. Car il doit bien le savoir en tant que politicologue : il ne s’agit pas des dirigeants congolais qui se sont réellement battus pour l’indépendance du Congo, avec un réel projet de société émancipateur et une vision claire pour l’amélioration des conditions de vie de leur peuple. Des dirigeants qui, élus par le peuple en 1959 et ayant pris le pouvoir le 30 juin 1960, ont été liquidés un à un par la Belgique et ses amis à travers des assassinats crapuleux à Léopoldville, Stanleyville, Bakwanga ou encore Élisabethville dont ceux de Lumumba, Okito et Mpolo bien connus. Déjà avant ces assassinats, il sied de rappeler que deux jours seulement après l’indépendance, la Belgique attaquait le jeune État et refusait les injonctions de l’ONU de se retirer. La résolution 1599 de la quinzième session, concernant la situation dans la République du Congo, rappelant la résolution 1474 (ES-IV) du 20 septembre 1960, ainsi que les résolutions du Conseil de sécurité en date des 14 juillet, 22 juillet et 9 août 1960, exigeait le retrait et l’évacuation immédiate de tous les personnels militaire et paramilitaire et conseillers politiques belges et d’autres nationalités ainsi que  des mercenaires. Car, stipulait-elle, “le facteur central dans la grave situation actuelle au Congo est la présence persistante de personnels militaire et paramilitaire et conseillers politiques belges et d’autres nationalités, ainsi que de mercenaires, au mépris total de résolutions répétées des Nations Unies“.  

A la place de ces dirigeants lâchement assassinés quoique élus du peuple, la Belgique et les autres puissances européennes sont allées chercher un ramassis des jeunes gens, des étudiants sans aucune expérience politique, à qui ils ont remis le pouvoir pour mieux continuer l’œuvre prédatrice du projet colonial. Ces “Commissaires“, universitaires de l’ULB et de la KUL, ont régné en maîtres sur le Congo pendant plus de trente ans à côté de Mobutu, accomplissant consciencieusement la tâche qui leur était confiée, en tirant au passage des avantages personnels faramineux. Et ce sont les enfants de ces Commissaires ainsi que leurs amis qui se sont emparés du pouvoir au Congo actuellement et pillent le pays à tours de bras. Ils n’ont qu’un seul projet : ramener le plus d’argent possible en Belgique où se vivent leurs familles. En cela ils ne diffèrent nullement de leurs Maîtres et formateurs belges que dénonçait courageusement Lumumba. On le voit donc que le rôle de la Belgique dans la descente en enfer du Congo n’est en rien négligeable. 

La situation actuelle du Congo est clairement le fruit de la continuité du projet (néo)colonial et n’est en rien le fruit d’une incapacité génétique des 70 millions de Congolais.es à organiser et à gérer leur pays dans leur propre intérêt. Non, le Congo n’était pas une colonie modèle ! Ni elle ni aucune autre d’ailleurs par l’essence même de la colonisation qui – sous quelque forme qu’elle soit – demeure une chose et une chose uniquement ; un projet capitaliste de déshumanisation.  Quelle que soit la souffrance actuelle du peuple congolais, il n’y a aucun regret à avoir de la période coloniale ! Il y a justement à continuer la lutte là où l’ont laissé Lumumba et ses successeurs, c’est-à-dire à sortir définitivement du projet néocolonial et assurer ENFIN au Congo une souveraineté véritable et une reprise en mains du pouvoir par le peuple lui-même.   

Fait à Bruxelles, le 08/02/2023

Le CMCLD    

 

 

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