Les cours d’histoire sont-ils vraiment trop «light» sur la colonisation?

La proposition de la députée Catherine Moureaux pour modifier les cours d’histoire a d’abord fait polémique. La question de fond tourne en réalité autour de l’enseignement de la colonisation.

Quels souvenirs gardez-vous de vos cours d’histoire sur la colonisation – si vous en avez eu ? Vos enfants ont-ils reçu un enseignement sur le Congo ? Telles sont des questions qu’il serait judicieux de poser dans un sondage, tant il est difficile de savoir si oui ou non l’histoire de la colonisation belge est enseignée à nos enfants. Catherine Moureaux, présidente du groupe PS au parlement francophone bruxellois, et députée au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, juge pour sa part que ce n’est pas encore suffisamment le cas. Contrairement à ce qu’a titré La Capitale de ce mercredi, elle ne propose pas des cours d’histoire « à la carte » en fonction de l’origine des enfants. « Ce n’est pas du tout le sens de mon travail », a tenu à préciser la députée face à la polémique qui enflait.

En réalité, le « phénomène » de la colonisation est bien au programme, en dernière année d’humanités. Pour la députée, c’est le caractère vague du référentiel qui pose problème : c’est bien le concept qui doit obligatoirement être abordé. Or, le Congo en tant que tel n’est pas précisé. Un professeur d’histoire peut donc très bien décider d’expliquer cette problématique via la colonisation de l’Amérique latine et ne jamais enseigner à ces élèves les 80 années de l’histoire coloniale belge. « Le principal problème, qui m’a été rapporté par des professeurs d’histoire et des personnes de l’inspection, est que, par manque de temps, la deuxième moitié du XXe siècle est souvent peu abordée, voire passée sous silence. La difficulté avec l’Histoire, c’est que c’est en quelque sorte une matière infinie. Je ne souhaite pas qu’on mette des thèmes en concurrence. Je pense cependant que nous sommes dans une époque qui génère de grosses interrogations identitaires, avec de plus en plus de gens qui ne se sentent pas appartenir à la société belge. C’est pourquoi je pense qu’aborder avec tous les élèves l’histoire de la colonisation belge est capital. Nous avons la nécessité d’un passé commun, d’une histoire commune ; tous les enfants doivent pouvoir en débattre ensemble. »

Division

Le sujet divise. D’une part, plusieurs professeurs d’histoire à l’université affirment que les futurs professeurs d’histoire reçoivent une formation à ce sujet. Ainsi, Anne Morelli, professeur d’histoire à l’ULB, se montre très surprise par cette critique : « cela fait des années que la colonisation et l’impérialisme constituent des points clefs du programme. Jusqu’en 2013, je donnais des cours de didactique de l’histoire et je vous assure que cette question était souvent traitée lors des stages par de futurs professeurs. » La professeure plaide quant à elle depuis des années pour que l’histoire des migrations (italiennes, turques, marocaines) soit intégrée au programme. Mais c’est une autre question.

Vincent Dujardin, professeur d’histoire à l’UCL, nuance : « sur le plan des outils, nous sommes nettement mieux équipés aujourd’hui, à la fois par la qualité des travaux scientifiques menés sur le sujet récemment, et par les nouveaux manuels scolaires sur ce thème. Mais une chose est d’avoir les outils, une autre est de les utiliser. Je ne pense cependant pas que cette question soit moins traitée en classe qu’une autre. Tout ce qui relève de l’histoire belge, par exemple, a fondu. Ensuite, globalement, depuis plusieurs années, les programmes insistent sur les compétences, les savoir-faire et moins sur les savoirs. Il y a donc des choix à faire… »

Pour Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue de la même université louvaniste, qui a beaucoup travaillé sur la condition noire en Belgique, cette question est pourtant primordiale : « Quand on veut comprendre qui on est aujourd’hui, il est indispensable de connaître cette histoire qui a eu des impacts économiques, géopolitiques et culturels déterminants. La colonisation a forcément eu un impact sur la façon dont les colonisés se sont construits, marqués – encore aujourd’hui – par le poids d’avoir été considérés comme inférieurs. Tout comme les colons, eux, se sont construits comme supérieurs. Des constructions qui ne sont pas travaillées et qui perpétuent les stéréotypes, le racisme et les discriminations. » Pour la chercheuse, il est crucial d’entamer une réelle décolonisation de la pensée. « Or, en Belgique, sur le plan politique, nous n’avons jamais connu une commission qui aurait pris ce problème à bras-le-corps. Nous en restons au constat selon lequel deux mémoires existent et qu’elles ne s’accordent pas très bien… Pourtant, sans nier la mémoire, y compris celle de gens qui gardent un souvenir idyllique du Congo, ou qui y sont vraiment allés dans une perspective humanitaire, il faut la dépasser. Et retourner à l’histoire, notamment celle de la première phase de colonisation, qui était majoritairement violente. »

Ignorance des citoyens

Depuis des années, le collectif « Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations » milite pour que l’histoire de la colonisation et de la décolonisation soit davantage inscrite dans les programmes scolaires, et ce, dès le primaire. « L’ignorance des citoyens sur ces 80 années des 186 ans d’existence de la Belgique produit encore aujourd’hui du racisme, insiste Kalvin Soiresse, membre du collectif. Nous en voulons pour preuve cette histoire de Black Face. (Des étudiants belges organisaient des soirées, déguisés en personnes noires, avec ceintures de bananes à la taille, NDLR). »

Au cabinet de la ministre de l’éducation, Marie-Martine Schyns, on fait montre de prudence : « Nous devons quand même constater que les référentiels restent assez vagues sur le contenu des savoirs à acquérir. Les travaux du pacte d’excellence préconisent globalement de préciser davantage les savoirs. » Si l’orientation générale va dans ce sens, les travaux doivent d’abord se prononcer sur un possible élargissement du tronc commun, avant de détailler plus précisément les savoirs en question, notamment pour les cours d’histoire. Il est donc « prématuré », estime le cabinet, de s’avancer sur la question précise du colonialisme. A suivre…

Sourcehttp://plus.lesoir.be/70180/article/2016-11-23/les-cours-dhistoire-sont-ils-vraiment-trop-light-sur-la-colonisation#_ga=1.38897571.1061745645.1453985808

 

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